Droit d’auteur et économie créative : Yaoundé au cœur d’une réflexion stratégique pour l’Afrique

Pendant deux jours, les 28 et 29 juillet 2025, la capitale camerounaise a accueilli un rendez-vous majeur pour l’avenir des industries culturelles et créatives (ICC) africaines. Organisée par l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), en partenariat avec l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) et sous le haut patronage du Gouvernement du Cameroun, cette conférence régionale a réuni des experts de renom, décideurs publics, juristes et représentants d’organisations internationales autour d’une ambition commune : faire du droit d’auteur un véritable levier de développement à l’ère du numérique.

Photo de famille – Cérémonie d’ouverture (crédit OAPI)

Un contexte d’urgence et de transformation

Dans son discours inaugural, le Ministre des Arts et de la Culture du Cameroun, Pierre Ismaël Bidoung Kpwat, a rappelé que la propriété intellectuelle n’était pas qu’une question de réglementation, mais un outil stratégique d’émancipation culturelle, de croissance économique et de création d’emplois. Citant le Président Paul Biya, il a souligné l’importance de «promouvoir une culture qui soit aussi un produit exploitable, de consommation nationale et de haute compétition internationale».

Ministre des Arts et de la Culture – Pierre Ismaël Bidoung Kpwat (crédit MINAC)

Le Directeur Général de l’OAPI, Denis BOHOUSSOU, a pour sa part, appelé à dépasser les discours et à opérationnaliser des mécanismes économiques viables pour que les créateurs vivent de leur travail, dans un environnement juridique clair et respecté.

Participants à la conférence régionale OMPI-OAPI (crédit OAPI)

Quatre panels pour éclairer les enjeux contemporains

1. Un panorama des ICC à l’ère du numérique

Premier temps fort de la conférence, ce panel a dressé l’état des lieux des ICC dans l’espace OAPI. Le professeur Pierre El Khoury y a présenté trois axes prioritaires pour un modèle africain de développement :

• Une numérisation équitable et transparente ;

• Une souveraineté numérique culturelle via des plateformes locales et une régulation algorithmique ;

• Une formation renforcée pour des créateurs connectés, outillés et protégés.

(crédit OAPI)

Les différentes stratégies nationales présentées par le Pr. Joseph Fometeu ont mis en lumière la diversité des approches adoptées par les États membres de l’OAPI pour accompagner la transformation numérique des industries culturelles et créatives. Du Sénégal au Burkina Faso, en passant par le Cameroun, l’on observe une volonté manifeste d’intégrer le numérique dans les politiques publiques, à travers la création de plateformes de diffusion, la numérisation des contenus patrimoniaux, ou encore le développement de plans sectoriels adaptés. Toutefois, cette dynamique reste inégalement structurée : tandis que certains pays, à l’instar du Sénégal, mettent en œuvre des programmes ambitieux en faveur de l’entrepreneuriat culturel numérique et de la formation, d’autres peinent à ancrer leurs ICC dans l’écosystème digital, en raison de contraintes structurelles, législatives ou techniques. Cette cartographie révèle non seulement les efforts louables engagés, mais aussi les écarts à combler pour bâtir un espace numérique cohérent, interopérable et économiquement viable pour les créateurs africains.

(crédit OAPI)

El Hadji Mansour Jacques SAGNA a quant à lui plaidé pour un réveil créatif de l’Afrique numérique, en exposant la chaîne de valeur digitale des industries culturelles. Il a montré comment la distribution en ligne, le marketing digital et la monétisation par les plateformes redessinent profondément le paysage créatif africain.

Avec des projections vérifiables, il a annoncé une valeur de marché des ICC passant de 58,4 milliards $ en 2023 à 120 milliards $ en 2030, un bond spectaculaire, porté à 65 % par le numérique.

(crédit OAPI)

2. Droit d’auteur, intelligence artificielle et nouveaux modèles contractuels

Ce panel s’est intéressé aux transformations juridiques liées à l’évolution technologique. Le professeur Yvan Ngombe a souligné que les mécanismes classiques du droit ne suffisaient plus à encadrer les usages numériques. Il a défendu le recours systématique à des contrats et licences adaptés, capables de garantir aux créateurs une juste rémunération dans l’environnement numérique.

(crédit OAPI)

3. La gestion collective des droits : une solution concrète

Sous la modération de Maguy Nnoko (OAPI), les discussions ont porté sur les modèles de gestion collective des droits. Michel Allain (OMPI) a défendu ce système comme une clé d’accès au marché secondaire, indispensable pour exploiter des segments autrement inaccessibles, lutter contre le piratage et accroître les revenus des créateurs.

(crédit OAPI)

Olav Stokkmo, consultant international et figure de l’IFRRO, a rappelé que la gestion collective permet à la fois :

• aux ayants droit, de se concentrer sur la création ;

• aux utilisateurs, d’agir légalement avec plus de simplicité ;

• aux législateurs, d’appliquer plus efficacement les normes internationales.

4. Focus sectoriels : édition, audiovisuel, musique

Sur l’industrie de l’édition, Gisèle Ngadehi a détaillé les chaînes du livre, de l’auteur au lecteur, tout en dénonçant la faiblesse des politiques publiques, le piratage, le retard numérique, et l’absence de financement. Elle a proposé de soutenir l’édition en langues locales, financer l’innovation, et sensibiliser à la lecture dès le plus jeune âge.

Gisèle Ngadehi (crédit OAPI)

Pierre El Khoury, intervenant sur l’audiovisuel, a défendu un modèle fondé sur trois piliers :

• un droit d’auteur équitable (structuration, régulation, redistribution),

• un investissement massif (incubateurs, plateformes, formation),

• une souveraineté créative assumée.

Sur l’industrie musicale, le Pr. Joseph Fometeu a pointé la faible rentabilité du secteur, les inégalités de rémunération, et la difficulté d’appliquer les droits sur les plateformes numériques. Il a appelé à des réformes contractuelles et fiscales adaptées, ainsi qu’à une régulation de l’intelligence artificielle.

Photo de famille – Panel 4 (crédit OAPI)

Résolutions et actions concrètes pour le Cameroun et fin des travaux

La dernière journée a donné lieu à une restitution des travaux en ateliers. Parmi les résolutions phares (décrites comme actions nationales) au pour le Cameroun, figurent :

la révision du cadre juridique camerounais, notamment la loi de 2000 sur le droit d’auteur, à actualiser dans un délai de deux ans ;

la formation de 50 responsables issus des OGC, des forces de l’ordre, de la justice et des autorités administratives à l’utilisation pratique des outils juridiques liés au droit d’auteur.

Participants en ateliers – (crédit OAPI)

Au moment de clôturer les travaux de la Conférence régionale OMPI-OAPI, le Président du Conseil d’Administration de l’OAPI, Nicephore Antoine Thomas Fylla Saint-Eudes, a tenu dans son discours à : saluer l’engagement de toutes les parties prenantes, remercier le Gouvernement camerounais pour son accueil, et appeler à poursuivre les efforts dans chaque pays membre pour traduire ces engagements en politiques publiques concrètes.

PCA de l’OAPI délivrant le discours de clôture (crédit Suzane MVENG)

Et pourtant… l’absence remarquée de la voix des jeunes

Malgré la densité des débats et la hauteur des réflexions, un manque évident a été relevé : l’absence de la jeunesse créative africaine dans les panels. Ni les artistes émergents, ni les start-ups culturelles, ni les créateurs digitaux n’ont véritablement été intégrés aux échanges. Pourtant, ce sont eux qui innovent, expérimentent, et structurent sur le terrain les nouveaux modèles économiques. Leur contribution est essentielle pour adapter les politiques aux réalités contemporaines. Si l’Afrique veut construire une industrie créative forte, elle ne peut se permettre d’ignorer la voix et les aspirations de sa jeunesse.

Photo de famille – Cérémonie de clôture (crédit OAPI)

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