Colloque international des Écrans Noirs 2025 : la distribution au cœur de la renaissance du cinéma africain

Réunis ce lundi 22 Septembre 2025, à l’auditorium de la Maison de la Radio à Yaoundé, chercheurs, cinéastes et distributeurs ont débattu d’un enjeu central : «Les défis de la distribution du cinéma africain en Afrique et dans le monde». L’édition 2025 du Colloque international des Écrans Noirs a été marquée par des réflexions à la fois théoriques et pratiques, mettant en lumière la nécessité d’unir éthique, recherche et innovation pour bâtir une industrie compétitive.

Photo de famille (Crédit – Festival Écrans Noirs)

La voix institutionnelle du festival

Prenant la parole au nom de Grégoire Owona, président du Conseil d’administration des Écrans Noirs, Bassek Ba Kobhio a salué la collaboration fructueuse entre son association et le CERDOTOLA. Il a rappelé l’évolution du cinéma africain avec cette formule marquante :

«Il y eut un temps où l’essentiel pour nos cinéastes était de créer, puis rapidement est arrivé celui de paraître.»

Il a aussi annoncé la préparation d’un ouvrage commémoratif pour les 30 ans du festival, attendu l’année prochaine, signe d’une volonté de mémoire et de projection dans l’avenir.

(Crédit Festival Écrans Noirs)

Une leçon inaugurale tournée vers la puissance et la renaissance

Le Pr Charles Binam Bikoi, Secrétaire Exécutif du CERDOTOLA, a donné le ton avec une réflexion philosophique sur la distribution comme arme stratégique. Selon lui, «le maître du discours est toujours le maître tout court» ; l’Afrique ne peut prétendre à la renaissance sans contrôler son image à travers le cinéma.
Sa leçon inaugurale a insisté sur la nécessité de rendre les films africains «distribuables, diffusable et copieux», en puisant dans les traditions héroïques africaines et en construisant une pensée autonome de la distribution, à l’instar des grandes puissances qui ont utilisé le cinéma comme levier de domination culturelle et économique.

(Crédit Festival Écrans Noirs)

L’audience et l’économie de l’intégrité

Le deuxième panel dont les travaux portaient sur les métiers, les pratiques et les marchés a mis en évidence plusieurs priorités parmi lesquelles :

  • Repenser l’audience : Pour Pani Nalowa Fominyen (Université de Buea), il est temps de cesser de blâmer le public africain. La question n’est pas son manque d’intérêt, mais la pertinence des films qui lui sont proposés. Elle recommande un patriotisme cinéphile et des campagnes promotionnelles fortes dès l’écriture des scénarios : «The writer, that’s where your marketing begins».
  • Bâtir une économie éthique : Basile Ngono (ESSTIC) a relevé le concept d’«économie de l’intégrité», qui repose sur la transparence, le respect des droits d’auteur et la lutte contre la piraterie. Selon lui, l’audiovisuel africain recèle un potentiel de 20 milliards de dollars et 20 millions d’emplois, mais il reste largement inexploité faute de structuration éthique.

Diagnostics et stratégies académiques

Le troisième panel a apporté des pistes concrètes :

  • Alain Fleury Ekorong (Université de Douala) avait pour axe de réflexion «Marketing du cinéma africain et stratégies créatives dans une économie postcoloniale de l’écran : la médiumisation comme articulation de la souveraineté.». Il a proposé cinq stratégies pour renforcer la distribution : modéliser, patrimonialiser, transactionner, versionner et pérenniser.
  • Cherqui Ameur (Université Sultan Moulay Slimane, Maroc) a plaidé pour un diagnostic honnête des problèmes structurels : «Si on ne va pas au cinéma ça veut dire qu’il y a un problème chez nous. C’est pas question de plateforme. Pourquoi les gens partent à un concert pourtant ils peuvent écouter la musique chez eux ?  Pourquoi ils partent voir un match au stade pourtant ils peuvent le regarder à la télévision ? Pourquoi ils boivent une tasse ou une bière au bar alors qu’ils peuvent le faire à la maison ? Il y a un problème structurel. Il y a quelque chose qui ne va pas. (…) Et c’est la faute à qui ? Et moi je dirai sans équivoque que c’est l’État. Nos Etats sont responsables de cette situation. Il y a d’autres expériences rares qui prouvent ce que je dis. Il faut donner de la valeur aux arts et à la culture. C’est important.».
  • Joseph René Moifo Takou (Université de Douala) a insisté sur la faiblesse du maillon de la distribution au Cameroun, soulignant la nécessité d’adapter la chronologie des médias au contexte africain pour concilier visibilité et rentabilité.
(Crédit Festival Écrans Noirs)

Les défis du terrain

La table ronde des professionnels du cinéma a permis de confronter les réalités du marché :

  • Vicky Tekam Yempmo a plaidé pour la création de ciné-clubs scolaires et la formation de distributeurs professionnels.
  • Sylvain Foppa (Pathé BC Sénégal) a rappelé que «le distributeur est un commercial et un marketeur», regrettant la prolifération de «toutistes» qui cumulent toutes les fonctions.
  • Ebenezer Kepombia a dénoncé l’absence de sociétés de distribution fiables au Cameroun et l’obligation pour certains producteurs de devenir leurs propres distributeurs : «Ce que je conseille aux producteurs c’est de se soumettre à la nouvelle donne,  de soumettre leurs projets au sein des télévisions ; soit elles vont les préacheter soit elles vont les produire. C’est plus facile ainsi.».
  • Alain Modot (PDG de DIFFA) a mis en avant un catalogue de 1600 heures de contenus africains provenant de 32 pays, estimant qu’il est plus facile aujourd’hui de vendre des films que des séries.
  • Jean Roke Patoudem a souligné l’importance de la connaissance intime du marché pour réussir.

Recherche-développement et chaînes de valeur

En clôture, Jean Eudes Biem (Conseiller Technique – CERDOTOLA) a replacé le débat dans une perspective économique plus large. Pour lui, aucun pays n’a émergé sans émerger également dans le domaine du cinéma. La clé réside dans l’intégration de la recherche-développement et la construction de chaînes de valeur «industraditionnelles», capables de transformer les traditions africaines en matière première pour une production et une distribution compétitive.

(Crédit Festival Écrans Noirs)

Vers une renaissance par la distribution

De la réflexion théorique aux recommandations pratiques, le colloque a dégagé un consensus : la distribution est le maillon décisif de la renaissance du cinéma africain. Elle doit être pensée :

  • dès l’écriture des scénarios,
  • dans une économie éthique et transparente,
  • avec le soutien de la recherche et de la formation,
  • et à travers des réseaux professionnels solides.

En somme, les Écrans Noirs 2025 ont affirmé que l’avenir du cinéma africain ne dépend pas seulement de sa créativité, mais de sa capacité à faire circuler ses images, conquérir ses publics et imposer sa voix dans le marché mondial du discours.

(Crédit Festival Écrans Noirs)

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